Une maman souriante
J’ai sept ans. Maman vient me chercher midi et soir à l’école du village où je grandis et je m’épanouis. Comme à son habitude, elle est accompagnée de son sourire bienveillant et de ma petite sœur, âgée d’un an. Bonne élève, mes maîtresses d’école disent que “je suis en avance”. Sauf quand il s’agit de compter. Mes parents pestent contre moi aussi souvent que les maîtresses nous donnent des devoirs en mathématiques. “ 6 X 7 = 42 ”, il me faudra bien quatre années avant de le retenir, ce calcul là (rire).
Au programme à la sortie de l’école ? De belles courses poursuites dans la maison et le jardin.
Une maman triste
Aujourd’hui je viens de fêter mes huit ans, c’est mon anniversaire ! Maman vient me chercher à la sortie de l’école, elle a une nouvelle à m’annoncer. Elle ne sourit plus. Je la trouve bien étrange. “ Peut-être qu’elle va me dire qu’on ira au Fast Food pour mon anniversaire ? Ce serait trop cool, si c’était ça ! ”.
Papa, lui, rentre du travail tôt. Quel anniversaire super, je me sens chanceuse. Mais maman n’a pas l’air dans son assiette. Du haut de mes huit ans, je comprends que quelque chose cloche. “ Elle ne peut quand même pas être triste à cause de moi, si ? ”.
Papa et maman m’emmènent en balade avec ma petite sœur. Maman prend la parole et m’annonce d’une voix tremblante, qu’elle va devoir aller se reposer dans un endroit, car elle est malade. DÉPRESSION. C’est le mot que le psy de maman a posé, celui qui explique pourquoi maman était toujours fatiguée, couchée, avec les yeux rouges.
J’acquiesce et j’accuse tant bien que mal l’annonce. “ Mais dis maman, tu ne vas pas rentrer dormir à la maison ? ” ; “ Mais maman, c’est de ma faute ? ”; “ Mais maman, pourquoi tu pars le jour de mon anniversaire ? ”. Ok maman, si tu dois te reposer, alors vas-y.
Une maman hospitalisée
Les mois et les années passent et aujourd’hui je dois avoir onze ans. La sirène des pompiers et de la gendarmerie sonnent devant le portail de la maison. Maman a décidé de mettre fin à ses jours, encore. Oui, encore, car ce n’est pas la première fois, et ce ne sera pas la dernière, loin de là.
Je ne comprends pas son mal être : “ Pourquoi est-elle tout le temps malade ? ”; “ Pourquoi n’est-elle jamais là ? ” ; “ Pourquoi papa est-il tout le temps triste lui aussi ? ”.
Papa se fâche beaucoup en ce moment, il a l’air si fatigué. “ Pourquoi notre vie n’est-elle pas celle de toutes mes copines avec des superbes mamans qui rigolent devant l’école ? ”.
Maman, j’ai douze ans aujourd’hui, et je me souviens que tu m’emmènes faire les magasins. Tu dépenses toute la paie de papa, en trois heures seulement. Papa n’est pas content, mais moi je trouve cela trop cool. J’ai un tas de nouveaux habits, je vais pouvoir crâner au collège.
“ Mais maman, tu repars déjà ? ”…
Une maman hors-normes
Maman, aujourd’hui j’ai trente-trois ans, et tu as une nouvelle fois baissé les bras, et tenté de partir. Mais cette fois-ci, maman, je suis grande et je suis armée pour t’aider. Chère maman, j’ai beaucoup de peine, mais je ne te laisserai pas tomber.
Voici le point de départ de mon histoire, le point de départ qui fait ce que je suis aujourd’hui. Grandir avec une maman dont les troubles de l’humeur l’ont souvent emporté, n’a pas été chose facile, voire carrément difficile, dans ma construction d’adulte.
Mon rêve ultime d’enfant était d’avoir une maman normale. Mais sa normalité, c’est sa dépression. Ma normalité à moi, c’est d’avoir grandi avec une maman “ hors-normes ”. Une maman vivant comme sur un fil rouge, qui souvent, se casse, puis se répare, puis se distend à nouveau.
Une expérience de vie au service des autres
De cette expérience de vie, j’ai choisi d’en tirer des leçons :
– Hors de question de ne pas aider quelqu’un qui n’est pas bien ;
– Hors de question de dire non à l’autre ;
– Hors de question de ne pas tendre la main à celui qui en a besoin.
J’ai envie d’aider les autres depuis toujours. D’ailleurs, les métiers que j’ai pu exercer ont tous été dans le service : aider les autres à choisir le meilleur vêtement, à choisir le bon pain pour aller avec le bon aliment, à avoir leur permis, à organiser un évènement. Et aujourd’hui, aider les autres à aller mieux, en posant des mots sur leurs maux, et en leur facilitant l’accès au témoignage.
Lorsque l’équipe Hors-Normes m’a demandé d’écrire un témoignage sur « Mon hors-normes à moi », j’ai longuement réfléchi. Mais maintenant c’est clair : “ Mon hors norme à moi ”, c’est d’avoir grandi avec une maman atteinte d’une dépression sévère. Ma normalité à moi, est peut-être “ un hors norme ” pour vous.
Retrouvez mercredi, le témoignage hors-norme d’un autre membre de notre équipe, Xavier.
