Mathilde chez les scouts
Dès mon plus jeune âge, j’ai eu un attrait pour les activités qui, de base, étaient destinées aux petits garçons. Pendant près de dix ans, j’ai fait du scoutisme, entourée de garçons principalement. J’ai dû me faire une place en tant que petite fille, blonde, sensible. Il a fallu prouver aux autres que j’étais tout autant capable de faire du feu, monter une tente, fabriquer une table, monter aux arbres, couper du bois, partir en exploration d’orientation. Parce qu’à cet âge là, pour les garçons, nous les petites filles on ne sait que jouer à la poupée et pleurnicher !
Mathilde chez les sapeurs-pompiers
À mes seize ans, je me suis engagée chez les sapeurs-pompiers volontaires. Encore une fois, il m’a fallu me faire une place, d’autant plus grande, car j’étais une femme, jeune et j’arrivais dans un milieu d’hommes, adultes, plutôt fiers et machos. Lors du recrutement nous étions trois filles pour une cinquantaine d’hommes. J’ai rapidement senti les premiers jugements et regards sceptiques sur nous. Une compétition s’est installée pour nous prouver que nous n’avions pas notre place au milieu d’eux. Mais impossible pour moi de ne pas entrer chez les pompiers. Alors, je me suis surpassée, plus que n’importe quel homme, pour prouver que j’étais capable, tout autant qu’eux, de réussir. Une fois les épreuves d’entrée validées, je suis arrivée en formation, où j’ai été poussée par les formateurs, bien plus que tous les hommes présents !
Épreuves, bizutages et humiliations
Des questions pièges, des manœuvres à faire, et refaire pour justifier ma place. Jours et nuits, j’ai lu, relu, révisé, appris par cœur chacun de mes cours, pour ne surtout pas me retrouver en difficulté et laisser un doute sur mon mérite à être ici. J’ai réussi ma formation, fière de moi, pleine d’envie et de volonté, j’intègre ma première caserne. Les premiers mois se passent plutôt bien, je suis dans une bonne garde, les collègues sont sympas. Et puis, très vite, le même schéma se reproduit : je suis mise à rude épreuve, les bizutages ne cessent jamais, je suis moquée, humiliée, mais je reste forte. Je sais que j’ai ma place ici, que je ne l’ai pas mendiée, mais que je l’ai obtenue au mérite et à l’effort tout autant que les autres.
Stress, angoisses et larmes
Mais un jour, ils gagnent. Je n’en peux plus, je veux rendre l’uniforme. Après quatre ans d’engagement, je ne peux plus supporter cette situation. Je ne peux plus aller à la caserne sans angoisse, monter une garde devient une épreuve, j’ai les larmes qui montent à chaque confrontation. Je ne veux plus y aller ! Je finis par en parler à mon chef de centre, il m’écoute, me comprend et décide de convoquer les principaux concernés pour me laisser en paix. Je me dis qu’enfin, je vais pouvoir retrouver le goût de ce qui m’anime. Mais non… C’est pire, en plus de ceux qui avaient pris l’habitude de me prendre pour cible, il y a ceux qui se sont mis à les défendre, alors que jusque-là, ils ne m’avaient jamais trop rien dit, ou fait. Je dis stop ! Je veux démissionner.
Accueil, acceptation et professionnalisme
C’est alors qu’en parallèle je déménage, l’occasion pour moi de changer de caserne et repartir à zéro. Je n’avertis personne de ma caserne, et effectue les démarches seule avec la nouvelle caserne. Du jour au lendemain, je donne ma mutation, elle est accordée et je pars. Enfin ! Le soulagement se mêle à l’inquiétude de devoir à nouveau trouver et prouver ma place. J’intègre donc ma deuxième caserne, et là, SURPRISE ! Je suis la seule femme au milieu d’une quarantaine d’hommes. L’angoisse… ! Je me vois déjà devoir abandonner mon rêve, car jamais je ne réussirais à me faire une place ici. Mais, à ma grande surprise, étant la plus jeune de la caserne, je suis prise sous l’aile des plus anciens, je suis considérée comme la petite sœur de tous, chacun m’accueille et m’accepte. Je suis dans une vraie caserne, une équipe. Je n’ai pas ce sentiment de devoir toujours prouver quelque chose. On m’accepte comme je suis, avec mes qualités et mes défauts, mais aussi mes faiblesses. Et puis, je dois à nouveau déménager, je quitte cette caserne le cœur lourd, mais je ne veux pas en intégrer une nouvelle, par peur de devoir revivre ce que j’ai vécu. Je n’en n’aurais pas la force à nouveau, je préfère rester sur cette expérience positive. C’est donc après plus de sept ans d’engagement que je démissionne.
Mathilde dans le social
Je viens d’être diplômée dans le social, alors je commence une nouvelle aventure. Il s’agit de mon premier vrai travail en dehors de mes jobs d’étudiante. J’arrive dans une équipe uniquement féminine. Quel changement ! Je n’ai jamais travaillé, entourée de femmes. Je ne sais pas comment faire, comment m’y prendre, alors je reste moi même, comme à mon habitude : je prouve les choses, me surpasse, me donne à fond, mais ce n’est pas vu comme tel… Je deviens vite la jeune diplômée « qui sait tout », « qui veut bien faire », alors à nouveau je ne sais plus où est ma place. Le COVID arrive, mon CDD prend fin avec le confinement, tant mieux, je ne veux plus travailler ici.
Mathilde chez les ambulanciers
Je démarre un nouveau poste : l’ambulance. Une révélation pour moi ! J’y retrouve à la fois l’adrénaline des pompiers, le contact et la proximité des patients du social, et une équipe plus masculine. Je suis donc dans « mon élément », une Mathilde forte, fière et ambitieuse. Mais avec l’accumulation des kilos des dernières années, je sens bien que j’ai encore plus à prouver auprès de certains hommes. Comment une femme, qui plus est, obèse, serait capable de porter un patient lourd, sur une chaise, sur plusieurs étages ? Eh bien, je l’ai fait ! Et encore une fois, j’ai prouvé que j’étais capable de faire les choses seule. Alors, oui, il y a eu des jours où j’ai serré les dents, et senti que mon corps me disait stop. Mais c’était impensable pour moi de lâcher prise, et de me rendre vulnérable. Alors plus forte que jamais, je me suis fait ma place : j’ai porté, brancardé, soigné, massé, pansé, accompagné, et conduit aussi bien que tous les hommes. J’ai fait mon travail comme il devait être fait, et avec fierté. Puis en tant que maman, j’ai fait le choix d’arrêter l’ambulance pour ma fille. Bien qu’à mes yeux ce soit un des plus beaux métiers, il est rempli de contraintes pour nos vies personnelles.
Mathilde au SAS du SAMU
Aujourd’hui je suis à un nouveau poste, principalement entourée de femmes, où l’on doit travailler en équipe. Je me sens plutôt bien ici. J’ai eu un entretien avec ma directrice après un mois de poste, pour faire le point sur nos ressentis mutuels. Ses mots ont résonné en moi plusieurs jours, et ont fait remonter les larmes. Elle m’a dit en fin d’entretien : « Baissez vos armes Mathilde, vous n’avez rien à prouver ici, faites-nous confiance ». Comment quelqu’un qui ne me connait que depuis quelques semaines a pu voir si juste ? Comment a-t-elle pu comprendre que moi, je cherche toujours à prouver aux autres que je n’ai besoin de personne, ni hommes, ni femmes d’ailleurs ? Comment a-t-elle su que les choses que je veux, je les réalise toujours seule, pour que l’on puisse être fière de moi, encore et toujours, pour prouver mon potentiel ?
Mathilde, une femme forte, indépendante et sensible
Voilà, le caractère que je me suis forgé en travaillant entourée d’hommes. Je suis une femme forte et indépendante. Mais simplement au premier abord, car en vérité, au-delà des apparences, existe une toute autre Mathilde, bien plus sensible, émotive, prenant trop à cœur chaque mots, et chaque geste.
Travailler dans un milieu d’hommes
Pour finir, si je peux vous donner un conseil ce serait le suivant : si aujourd’hui ou demain vous êtes amenées à travailler dans un milieu d’hommes, alors restez vous-même. Avec vos forces et vos convictions, mais aussi vos faiblesses. Ne soyez pas trop dures, ou exigeantes avec vous-même. Dites vous que si un homme arrive à mieux faire quelque chose que vous, ce n’est pas une compétition, que vous, vous rayonnerez forcément sur autre chose. On ne peut pas tout savoir, tout faire, tout avoir, il faut savoir laisser place à l’erreur, à l’imprévu, à l’échec. Et ainsi, chaque victoire sera plus belle.
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