Le jour où j’ai sauvé maman - Hors-Normes
Saïma Vahekeni, nous raconte le jour où elle à sauvé sa maman

Le jour où j’ai sauvé maman

écrit par Saima Vahekeni

15 octobre 

– « Maman, et si tu venais passer les fêtes de fin d’année chez moi en Guadeloupe » ?

– « Oui, pourquoi pas ! ».

À l’heure où je prononce cette demande du cœur, je n’ai aucune idée des heures sombres que nous allons vivre toutes les deux. 

10 décembre 

Je récupère maman à l’aéroport. Je suis inquiète et très stressée, je ne sais pas dans quel état je vais la retrouver, elle n’aime pas prendre l’avion. Elle a 74 ans et vit depuis 40 ans avec un trouble du rythme cardiaque

– « Est-ce que son corps va tenir le coup ? Oui ! ».

Maman arrive, le visage certes fatigué, mais en forme. 

Pourquoi étais-je si angoissée ? Mon âme a peut-être pressenti ce qui nous attendait quelques jours plus tard…

Les retrouvailles sont heureuses. 

Du 11 au 22 décembre 

Plus les jours passent, plus maman est fatiguée, sans force. Elle se fait dévorer par les moustiques, ils la rendent ‘dingue’. Par moments elle a de la fièvre mais elle ne souhaite pas aller voir le médecin. 

23 décembre 

C’est la veille du réveillon de Noël. J’entre dans sa chambre au petit matin pour lui faire son bisou bonjour habituel, mais je vois qu’elle a une drôle de tête. La couleur de son teint est bizarre. Elle n’a plus aucune énergie. Je la sens très mal. Alitée toute la journée, je décide de l’emmener au service médical d’urgence pour qu’un médecin l’ausculte. Diagnostic : « pneumonie ou COVID », traitement : « antibio, cortisone, oxygène, prise de sang et soins infirmiers à domicile ». 

De retour à la maison, le monsieur de SOS Oxygène la branche sur un générateur d’oxygène. C’est la première fois que je vois maman, si solide, reliée à un tuyau. 

24 décembre 

Je lutte avec elle pour lui faire avaler antibios et cortisone. Elle n’a pas consommé de médicaments chimiques depuis 40 ans. Elle s’est guérie et soignée, toute une vie durant, avec des plantes, des soins de médecines alternatives, une hygiène de vie saine. Réfractaire et avec beaucoup de peine, elle déglutit ses médicaments « mortels » pour son estomac sensible.  

 

25 décembre 

Elle semble reprendre des forces. Nous avons le sourire aux lèvres en appelant la famille restée en Suisse pour leur souhaiter un Joyeux Noël, qui n’est finalement pas si joyeux. Le cœur n’y est pas, toute la famille est ébranlée par l’état de santé de maman, notre pilier à tous.

26 décembre 

J’emmène maman faire sa prise de sang au labo. Dans la voiture, elle fait un malaise, elle a des sueurs froides, mais ne s’évanouit pas. À la maison, je constate que sa tension a beaucoup baissé. Car oui, je me suis entre-temps transformée en infirmière et équipée d’un tensiomètre et d’un saturomètre. La journée passe, sa tension remonte. Le soir venu, je m’en vais faire une promenade avec les enfants au bord de la mer, pendant que mon mari veille sur elle. 

À mon retour, au moment où j’entre dans sa chambre pour lui apporter son repas, le cauchemar commence. 

Elle me dit qu’elle ne sent pas bien. Je vois qu’elle peine à respirer, sa poitrine se soulève de manière anormale. Je prends sa tension une première fois : « error », deuxième fois « error ». Mon pouls commence à s’accélérer, je sens que quelque chose cloche. Le saturomètre, quant à lui, ne capte aucun pouls, je vois seulement un trait plat. Vous savez, le trait qu’on voit dans les films, qui indique « arrêt cardiaque »… 

22 heures :

Je cours vers mon mari qui est en train d’endormir les enfants et lui dis : « Appelle le 15 ». Simultanément, j’appelle mes deux sœurs, mon frère et mon père pour les prévenir. Je prends le téléphone de la main de mon mari et je converse avec la centrale, ils décident d’envoyer les pompiers. Là, je comprends ce qui est train de se passer…

Mon souffle se coupe, j’ai l’impression que je vais mourir. Maman ne peut pas mourir. Pas maintenant. Pas sous mon toit. Pas de cette manière. 

Les pompiers arrivent et décident de l’emmener aux urgences. Ils la soulèvent pour la mettre dans le véhicule. Maman n’est plus là, je vois son lit vide. Je comprends alors le sentiment de vide que sa mort laisserait dans mon cœur et ma chair. Je comprends ce que chaque être humain peut ressentir lorsqu’on enlève un corps mort pour l’enterrer…

Paniquée, je lui prépare une valise à la vitesse de Flash Mc Queen (référence de maman), avec des chaussettes, sa jaquette en laine. Il fait tellement froid aux urgences ! Je sais que maman est frileuse. Je ne veux pas la laisser entre les mains des pompiers, je veux l’accompagner à chaque étape.  

Prête à foncer derrière le véhicule d’urgence, « la femme pompière » revient me voir et me déconseille de prendre la route. Elle m’invite à me calmer et reprendre ma respiration avant de prendre le volant. Je décide d’attendre l’arrivée du tonton pour garder mes enfants et de partir ensuite avec mon mari. 

23 heures :

Nous arrivons aux urgences ou devrais-je dire en enfer. Je découvre un environnement sonore et visuel digne d’un film d’horreur. Une femme hurle, un monsieur est en crise de douleur, mais aucun médecin à son chevet et les brancards des pompiers sont à la queue leu leu : les urgences sont saturées. 

Je reconnais les pompiers et je vois maman. Elle est toute pâle, mais consciente. Elle a mal au dos, alors les pompiers la changent de position. Sa tension chute à 7, le tensiomètre et le saturomètre crashent à nouveau mais elle se stabilise. Ils ont oublié d’ouvrir la bouteille d’oxygène sous son brancard… 

Minuit : 

Maman est enfin admise mais je suis séparée d’elle. Aucun accompagnant n’est accepté à l’intérieur. Je lis son angoisse sur son visage, elle me supplie de ne pas la laisser. Je comprends son ressenti, nos rôles se sont inversés, je dois à présent la rassurer comme elle m’a rassurée tant de fois étant enfant. Mais je n’ai pas le choix, la sécurité me demande de sortir. La séparation est brutale et insupportable. 

Débute alors un combat pour tenter de rentrer à l’intérieur, prendre des nouvelles et être certaine qu’on s’occupe de maman. Déterminée et résolue, elle ne fera pas partie des statistiques ‘morte à l’hôpital’ dans les couloirs de la négligence, du manque d’effectif, de logistique et d’humanité. J’ai compris l’état désastreux de l’hôpital public en Guadeloupe. J’imagine que c’est la même chose en France. 

Après moult négociations et intermédiaires, je peux rentrer. Une première fois, puis une deuxième, une troisième et enfin une quatrième fois. Je ne ferme pas l’œil de la nuit. Stratège : j’ai attendu les deux turnovers d’équipe pour bénéficier d’une nouvelle faveur. Habitée par une énergie nouvelle, un flux d’adrénaline constant, je gère la situation. Je ne peux pas m’effondrer. Les émotions (car oui, je suis hypersensible et émotive) ce sera pour plus tard. Là, je dois m’occuper de sauver ma maman. 

14 heures : 

Je parle enfin au médecin, un ange bienveillant, très compréhensive, attentive, professionnelle et efficace. Simplement humaine, car oui, des infirmières et du personnel, j’en ai vu défilé, mais aucun d’eux ne m’a accordé une minute pour répondre à mes questions, mes inquiétudes et me rassurer.

16 heures :

Nous avons enfin un diagnostic, maman a attrapé « une dengue sévère », maladie tropicale transmise par les moustiques. Tout s’éclaire, je comprends enfin ce qui lui arrive. Rassurée, la médecin nous confirme que nous pouvons sortir des urgences aujourd’hui. Maman n’aurait pas supporté de rester une nuit supplémentaire, près de malades gémissants, agonisants, ensanglantés, sentant le vomi, avec des membres amputés… Un concentré de souffrances humaines, une réalité tellement choquante ! 

18 heures :

Le retour en ambulance se passe sans encombre, les ambulanciers déposent maman dans son lit, à la même place. Ouf, elle est toujours là. Sa chaleur envahit la chambre.

20 heures :

Papa arrive après 8 heures de vol, mon mari rentre, je sers mes enfants dans mes bras. Mon bisou sur leur front n’a plus la même saveur. Je comprends que la vie ne tient qu’à un fil.

Alors protégeons ce fil, rendons le doux, faisons-le vibrer d’amour, chérissons-le. On ne sait jamais quand le jour J sonnera la fin… et si un tout petit moustique de rien du tout viendra tout faire voler en éclat !

À 4 heures de la nouvelle année : 

Je vous souhaite à tous « SANTÉ », il n’y a que cela de réellement essentiel. Santé, un mot que je dédie à ma maman que j’aime de tout mon cœur ! 

 

Si toi aussi tu as du sauver l’un de tes proches, que tu as envie de nous en parler, n’hésites pas à nous transmettre ton témoignage.



Envie de temoigner

Je témoigne