Je suis touchée de pouvoir faire entendre ma voix : celle d’une salariée et d’une maman en souffrance qui aujourd’hui se sent beaucoup mieux. Je vais vous raconter comment je me suis retrouvée à gérer une équipe de huit personnes, tout en étant cheffe de projet, avec un bébé à la maison. L’état d’épuisement que j’ai ressenti fut sans conteste une surcharge professionnelle associée à un sentiment de dépassement lié à mon nouveau rôle de maman.
Mon burn-out a débuté à la naissance de mon enfant
Si je garde un souvenir heureux de ma grossesse, celui de mon accouchement est, quant à lui, douloureux. J’apprends que je suis enceinte deux jours à peine après le confinement. Si le contexte extérieur à mon petit monde est certes anxiogène, les hormones du bonheur prennent toutefois le dessus. Le futur papa de l’enfant que je porte est absent, malgré son envie d’être présent et investi dans sa parentalité. Il ne peut guère participer à la première échographie et se voit contraint de quitter la maternité le soir venu, après la naissance de notre enfant : le covid est passé par là. Alors que ma grossesse se passe sans soucis notables en dehors des habituelles nausées et une fatigue intense lors du dernier mois, l’enfantement, lui, fut traumatisant : une équipe médicale débordée, sept accouchements le même jour que ma délivrance, une salle sombre et inconfortable dans laquelle je n’étais pas censée rester, un anesthésiste agressif, un moniteur qui sonne sans arrêt et un bébé en souffrance.
Oui, Jaden était en souffrance. C’est alors que très vite, tout s’est enchaîné. La salle sombre, mal éclairée, s’est remplie de blouses blanches, vertes, bleues et roses. Il fallait sortir Jaden d’urgence : 15 minutes, 3 poussées, des forceps et une déchirure interne plus tard, le voilà parmi nous. Sa naissance fut d’une rapidité et d’une violence inouïe. À peine posé sur moi, à peine ai-je le temps de le voir, de le sentir, de le toucher, qu’il fut emmené en couveuse. Autour de moi c’est le néant, tout le monde disparaît sauf la gynécologue qui me recoud. Je ne comprends pas ce qu’il se passe entre mes jambes. Le ventre vide, il ne reste plus qu’une énorme flaque de sang rouge autour de moi. La magie de la grossesse s’est envolée, plouf ! Et moi, j’ai l’impression de chuter de haut.
Voici le point de départ d’un tourbillon qui va durer des mois. Un tourbillon de fatigue, de non maîtrise de quoi que ce soit, de sensation d’être dans un corps que je n’aime pas et qui ne m’appartient pas.
Ouf, je reprends le travail, j’échappe à cette maternité
Dans mes souvenirs, les premières semaines de ma maternité sont tels un trou noir. Je me souviens de ne pas avoir pu allaiter mon fils. Avec son frein de langue, il ne tétait pas comme il aurait dû. À l’approche des fêtes de fin d’année, nous étions toujours dans un contexte d’incertitude : couvre-feu, pas couvre-feu, confinement, pas confinement, port du masque à Noël ou pas de masque… Je me sens à des milliards de kilomètres de ce que j’avais imaginé de la maternité ou de ce que j’avais prévu. Le sentiment de perte de contrôle est flagrant et très difficile pour moi. J’ai l’impression de me noyer constamment. À peine je pense sortir la tête de l’eau que je replonge.
Heureusement que mon travail est là, j’ai hâte de le reprendre et d’échapper à cette maternité que je ne maîtrise pas. Quinze jours après mon retour, j’ai repris mes marques, je suis à nouveau au contrôle des manettes. Mais j’ai également repris le rythme d’avant : des journées de travail à rallonge avec une heure de rentrée à la maison tardive. J’ai tout de même envie de voir mon fils avant son heure de coucher, alors je me dépêche.
Au bout de trois mois, je me retrouve avec deux boulots à temps plein : on me confie la gestion d’une équipe de huit personnes et la coordination de la zone Europe pour un projet monstre. Je me retrouve happée dans un gouffre.
Douze mois à essayer de gérer une équipe, plus un projet, c’est jongler avec huit personnes situées dans six pays différents, une équipe support aux US, elle-même débordée, six heures de décalage horaire, plusieurs chefs de projet côté prestataires, dix pays en Europe déployés sur le projet.
Pour vous donner un aperçu de mes journées : je commençais les calls à 9h et ce, jusqu’à 18h30 non-stop. J’avais à peine le temps de faire une pause pipi. Je courais après des gens débordés comme moi, avec une impression d’échec assuré. En télétravail la plupart du temps, je me revois en train d’étendre mon linge et de préparer le repas du soir, avec mes oreillettes branchées. Aucune pause à la machine à café avec des collègues et pas de réelle pause déjeuner à midi. Et le soir, c’était si simple de me reconnecter, tout le matériel de travail étant à proximité.
Stop, je n’en peux plus, je n’y arrive plus, à l’aide
Deux mois plus tard, j’alerte ma hiérarchie sur la charge de travail intenable, en vain. Je suis animée par un sentiment de colère constant : “Pourquoi nous mettent-ils dans une situation d’échec ?”. Je ne sais même pas quelle fut la goutte qui fit déborder le vase. Mais peu importe. Mon couple est au bord de l’implosion, je ne parviens pas à être présente pour mon fils comme je le souhaiterais. Je suis si loin de la maman que j’aimerais être. Le matin au réveil, lorsqu’il appelle “papa” et non “maman”, mon cœur se déchire. Je me dirige vers des tâches refuges car de toute façon, j’ai beaucoup trop peur de m’occuper de mon fils. Dépassée autant avec lui qu’avec mon travail, je ne vis plus, je survis simplement, épuisée que je suis. Dans ma détresse, j’ai la bonne idée de lancer un SOS à une association, “Maman Blues”. Cet appel à l’aide marque les prémices de ma guérison.
L’association me dirige vers une psychologue. Je priorise mon couple, je veux à tout prix le réparer, le sauver. À deux, nous apprenons à communiquer et à fonctionner en tant que parents. Puis je poursuis la thérapie en solo. La psychologue me demande de consulter mon médecin traitant pour bénéficier d’une aide médicamenteuse. En effet, le diagnostic tombe : dépression sévère. À partir de ce moment-là, c’est comme si mon cerveau avait intégré qu’il ne voulait plus retourner au travail. Je tente d’y aller, je réalise même un déplacement professionnel en Suède. Mais je vis de fortes angoisses, des moments de panique et des crises de larmes. J’ai l’impression d’avoir perdu des neurones, je n’arrive plus à réfléchir. Stop, rideau, le médecin m’arrête. Je suis ensuite orientée vers un psychiatre. Aucun des deux ne prononcera le mot burn-out.
Dans mon malheur, j’ai de la chance, je rencontre une coach en or et une avocate géniale
Il n’est pas temps pour moi de reprendre le travail, mais je souhaite tout de même réaliser un bilan de compétence, pour plus tard. J’ai la chance de rencontrer une coach en or qui me présente une avocate spécialisée en droit du travail. À leur contact, j’apprends qu’il existe un service « souffrance au travail » dans certains hôpitaux. Je décide de m’y rendre et là, j’ai la confirmation, écrite noire sur blanc, que je suis en burn-out. Un mot qui me soulage et que j’entends pour la première fois. Ni mon médecin traitant, ni la psychologue, ni le psychiatre l’avaient prononcé : “Vous comprenez madame, vous êtes la seule à nous raconter votre version de l’histoire, il n’y a que votre parole pour poser un diagnostic” m’ont-ils déclaré…
Mon avocate m’aide à négocier ma sortie de l’entreprise. Il était fondamental pour moi que cette dernière reconnaisse qu’elle avait failli à son obligation de sécurité.
Je suis une maman disponible émotionnellement et je recherche ma voie professionnelle
À l’heure où j’écris ces lignes, je me sens beaucoup mieux. Le tourbillon est à présent derrière moi. Je suis toujours en arrêt maladie car je prends le temps de me soigner et d’être présente pour Jaden. Je nous surprends en train de rire aux éclats et de vivre de beaux moments de complicité. Vous savez, ces moments qui s’impriment à jamais dans notre cerveau, tellement ils sont forts.
J’ai pris beaucoup de recul sur mon rôle de maman. J’ai décidé d’arrêter de vouloir être parfaite. Être cette maman idéale qui allaite son enfant pendant un an, qui ne donne que des purées bio faites maison, qui détient un poste à temps plein, super bien rémunéré ! J’ai fait une croix dessus. Et puis de toute façon, mon petit garçon est très équilibré. J’ai aussi laissé derrière moi ce sentiment de culpabilité… Culpabilité d’avoir abandonner mon équipe sur le champ de bataille. Mais aussi ce sentiment de honte, face à l’échec et au fait que les autres pouvaient penser de moi que j’étais faible.
Si vous vivez une difficulté maternelle, un burn-out parental ou professionnel, il est important de ne pas rester seul. Demander de l’aide est essentiel. Suivre son instinct l’est également, tout comme le fait de pouvoir se protéger, poser des limites claires, savoir dire non. Même si la sortie du tunnel n’est pas visible, après la tempête le soleil revient toujours.
Si vous avez vécu des difficultés à l’arrivée d’un de votre ou vos enfants, et que vous avez envie de partager votre histoire, vous pouvez le faire en vous rendant sur notre espace d’écriture bienveillant.