Mon cher corps,
J’en ai passé du temps à te détester, à te cacher, à t’apprivoiser, à t’excuser, à te défendre, à te pleurer, à te nier, à te malmener. Toi qui a toujours été là, qui a su encaisser toutes ces blessures de la vie. Toi qui a toujours su me supporter et me tenir en bonne santé malgré tout.
Tu étais devenu bien trop important pour moi, pour eux, pour tous. Tu avais le dos large pour pouvoir supporter tout ce qui pouvait se dire sur toi. Il était simple de te mettre sur le dos le moindre problème.
Moi je croyais en toi, en nous, qu’ensemble, on arriverait à être bien et en harmonie tous les deux. Il y a eu tant d’années passées à faire le yoyo, sans jamais réussir à se comprendre. Toutes ces années au final n’ont fait qu’empirer les choses. Toutes ces années, c’est toi qui à chaque fois, a re-encaissé mon mal être. Parce qu’ils ont beau tous dire, que ce n’est qu’une question de volonté, je n’y crois pas. Moi, la volonté, je l’avais. Je voulais être bien avec toi. Mais la vie, ses problèmes, l’engrenage, la santé, le psychologique, tout ça, n’a jamais été en notre faveur pour se trouver bien ensemble.
Des années ont passé à essayer de s’accepter comme on était, avec le fameux « body positive ». Mais je ne suis pas sûre que ce soit si positif, car finalement, je n’arrivais pas à trouver cette force que d’autres ont pour t’aimer comme tu étais.
On nous a beaucoup critiqué, de face ou de dos, par des proches ou moins proches, parfois même par des inconnus. On nous a fait beaucoup de réflexions, si maladroites: « comme tu étais tellement mieux il y a quelques années », « c’est dommage, tu as un beau visage » ,« on ne te reconnais même plus maintenant »… Comment on doit le prendre ça ? Est-ce la volonté, là, qui est censée accepter et faire face à ces remarques ? Non, c’est moi, moi seule. Alors on fait face, on sourit, on rigole et au plus profond de nous, on est en miettes, déchirés parce que proches et moins proches nous disent pour nous « motiver » de « nous reprendre en main ».
On s’endurcit, dans une sorte de carapace qui ne nous correspond plus au fil des années. Car on devient physiquement et mentalement une autre personne, pour ne jamais laisser paraître une émotion, ne pas se laisser atteindre par qui que ce soit.
Puis un jour…
Le déclic… C’était peut être ça qu’il me fallait. Quand le plus beau et gros projet d’une vie ne peut se concrétiser à cause de ce corps, qui me fait défaut. Lorsque l’on m’a annoncé qu’à cause de toi, je ne pourrais pas être mère si facilement…. Alors, à nouveau, à cause de toi, j’ai pleuré, des heures, cachée, à essayer de comprendre, pourquoi, et comment on en est arrivé là tous les deux.
J’ai eu besoin d’aide, et j’ai demandé de l’aide. J’ai pu avancer et commencer doucement le chemin de cette renaissance. J’ai choisi de frapper à la porte de ce médecin pour y trouver de l’aide, cette femme à qui aujourd’hui je dois beaucoup. En y frappant, j’ai eu en retour, encore et toujours, des remarques et jugements sur mon choix de « facilité ». Car oui, à priori, vivre en obésité morbide pendant près de dix ans et savoir se résigner à ne pas y arriver seule, c’est la « facilité ». C’est la « facilité » que d’accepter qu’on ne parviendra pas à réussir seule. Mais pour une fois, j’ai décidé de n’écouter que moi, mon corps. J’étais plus que déterminée à trouver l’équilibre que je cherchais depuis tant d’années. Mes proches, inquiets et douteux pour certains, ont réussi à mettre de côté leurs inquiétudes pour me faire confiance, et me soutenir chaque jour de ce parcours.
Aujourd’hui, j’y suis arrivée, à trouver cet équilibre entre mon corps et mon esprit. Il aura fallu beaucoup de travail, sur moi, mon corps, un coup de pouce de la médecine, du soutien et de l’amour de tous ceux qui m’entourent pour y parvenir. Cinquante kilos plus tard, j’y suis : je suis moi-même, je sais qui je suis. Je me suis retrouvée, et j’ai pu trouver en même temps cette nouvelle place, celle de maman, celle que j’ai toujours voulue.
Mon petit miracle qui est venu se nicher au creux de moi, lorsque l’on s’y attendait le moins. Mais une fois installée, tu y es restée pour de bon. L’anesthésie générale, les traitements morphiniques de plusieurs semaines, le peu d’apport nutritionnels ne t’ont pas fait peur. Tu avais décidé que nous serions tes parents quoi qu’il en soit.
Alors le chemin est loin d’être fini, c’est un perpétuel combat que je mènerais, celui des kilos. Toute ma vie je sais que je devrais rester vigilante, car la recette n’a rien de magique. Mais j’y arriverai, on y arrivera, toi et moi, cher petit corps, ensemble.
Merci la vie.