Je me souviens du 24 décembre 1999, dehors, c’est la tempête
Je m’appelle Virginie et je n’ai que quatre ans.
Je m’en souviens, c’était hier: plus d’électricité, c’est noël. Nous sommes tous les trois, papa, ma sœur et moi. Sous le sapin cette année, il y a une abondance de cadeaux. Il y en a plein. Ma sœur et moi sommes aux anges. Mais il manque maman. Cette nuit-là, nous dormons tous les trois pour que la chaleur de nos corps nous réchauffe. Le lendemain, papa nous emmène voir maman. C’est très long d’y aller. De plus, la tempête de la nuit passée a laissé de nombreux dégâts. Je n’aime pas beaucoup aller voir maman dans ce nouvel hôpital, mais nous sommes arrivés. Le choc fut très grand quand j’ai vu maman avec la bouche toute noire et les yeux hagards.
Aujourd’hui, c’est le 25 décembre. J’ai toujours quatre ans. Je m’en souviens comme hier et dans ma tête, c’est la tempête
Ce soir, avec ma sœur, nous dormirons toutes les deux dans sa chambre. Nous avons remonté les coussins du canapé. Ils étaient bleus avant que mes larmes ne le fassent devenir violets. Maman a fait quelque chose, je ne sais pas quoi. Cela a l’air grave car papa a suivi le camion de pompiers qui a emmené maman. Je dois avoir six ans, ma sœur six de plus. Peut-être que demain nous n’irons pas à l’école et que papa restera avec nous ?
Une rentrée ensoleillée, un sombre nuage, un héros lumineux
C’est la rentrée ! Je passe en 6ème ! Maman est avec moi, j’ai de la chance, car pour une fois je suis comme tous les autres enfants ! Elle m’a laissé mettre mon jean à paillettes que j’adore, je crois que ça va être une super journée.
Une chose dont je ne me souviens pas bien, c’est le nom de mon professeur d’anglais. Vous savez, le genre de professeur qui aide les élèves qu’ils affectionnent à passer les caps difficiles de leur vie ? Et bien de son nom, je ne m’en souviens pas. Papa et maman vont divorcer. Je suis si triste. Je dois aller chez la psy, elle est bizarre. Je dois lui parler, mais je n’en ai pas envie.
Mais elle a dit quelque chose qui a attiré mon attention, quelque chose que j’ai compris quelque temps plus tard. Elle avait dit : « Moi, à ton papa, je lui tire mon chapeau ! Il soutient ta maman depuis tout ce temps, dans la maladie. Il prend soin de vous, il travaille, il se dévoue corps et âme pour les trois femmes de sa vie. Bravo à lui ! ». Vous connaissez la fameuse expression Mon père ce héros ? Mon père, il a été notre héros à toutes les trois.
La maladie de maman s’appelle la dépression
Elle est invisible et très souvent incomprise. Mais elle se ressent la dépression. Elle se ressent très fort. Aussi fort que tout l’entourage de la personne atteinte de cette maladie en prend un sacré coup. Ça fait mal partout la dépression.
Maman, elle a eu beaucoup de mal au début. Elle est tombée, tout en bas, tout, tout, tout en bas. Et puis, petit à petit, elle est revenue: un peu plus elle-même, un peu plus longtemps à la maison et un peu moins souvent à l’hôpital. Elle a repris le cours de sa vie, parfois, elle est repartie. Mais elle est revenue. Et puis elle est restée !
Maintenant, la tempête est derrière nous
Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes en 2023. Maman n’a plus de traitement antidépresseur depuis deux ans. Elle vit sa vie. Parfois c’est dur, parfois c’est juste la vie qui est faite comme ça. Mon père est toujours resté son ami, il l’a toujours soutenue. Mes parents sont tous les deux nos héros.
À l’heure actuelle, j’ai vingt-sept ans. Et je me souviens de tout. J’ai appris de la vie. Dès fois je suis forte, et dès fois non. Je ne saurais dire si je serais différente si je n’avais jamais vécu tout cela. Le plus important, c’est ce qu’on vit tous ensemble, maintenant.
Merci à ma famille d’être ce qu’elle est.