L’adolescence - Hors-Normes
Découvrez les défis de l'adolescence dans la vision du Docteur Cleray, une période critique marquée par la transformation du corps.

L’adolescence

écrit par Docteur Cleray Xavier

L’adolescence est la période de la vie qui nous conduit de l’enfance à l’âge adulte. Ce moment charnière de la vie peut être difficilement vécu tant par les ados que leurs parents. Nous évoquerons dans l’article du jour les enjeux liés à l’adolescence, tels que les transformations corporelles, l’expérimentation des risques, les comportements de révolte. Nous parlerons aussi de l’évolution des liens sociaux et familiaux durant cette période particulière, dans l’optique de vous donner des pistes de compréhension et de réflexion utiles. 

L’adolescence en bref 

Imaginons l’adolescence comme un passage, comme la traversée d’une rive à l’autre d’une rivière, de la rive de l’enfance à celle de l’âge adulte. L’enfant va devoir trouver le moyen de traverser, selon l’importance du courant. Il ne peut le faire seul, au risque de se noyer. Il va chercher des passerelles ou des adultes équipés qui le soutiennent, des passeurs.

Dans la longue histoire de notre humanité, l’enfant pubère devenant adolescent, n’a pas toujours eu la même place, et ce, aussi en fonction de son appartenance sociale. Rappelons-nous qu’en France, jusqu’à une période récente, les enfants qui devenaient plus forts physiquement étaient obligés de travailler, à la campagne comme à la ville, où ils étaient employés dans les usines au 19e siècle.

Notre époque est marquée par un allongement de la période d’adolescence, si nous supposons qu’un adulte est quelqu’un qui a acquis une autonomie sociale et professionnelle, une indépendance économique lui permettant de subvenir à ses besoins. Ces évolutions sociétales ont modifié les relations inter-générationnelles, comme l’illustre avec humour le film “Tanguy”, réalisé par Etienne Chatiliez en 2001.

Les défis de l’adolescence 

Nous avons tendance, aujourd’hui, à considérer l’adolescence comme une période de crise, plus ou moins bruyante, plus ou moins supportable selon les jours, par l’adolescent lui-même et son entourage. Mais que se joue-t-il réellement à l’adolescence ? Quels sont les enjeux de cette période charnière ?

Les transformations corporelles 

Ce passage qu’est l’adolescence est marqué par des transformations corporelles que nous appelons la puberté. Ces changements corporels induisent des transformations psychiques profondes liées à l’émergence de la sexualité.

L’enfant voit son corps se transformer, du fait des changements hormonaux qui vont entraîner le développement des organes génitaux internes et externes, l’apparition de la pilosité, une accélération de la croissance osseuse et la modification de la voix.

L’enfant découvre de nouveaux ressentis corporels liés à ces changements physiologiques. Ces poussées pulsionnelles vont conduire l’enfant à définir autrement ses relations avec autrui, dans sa famille et son espace social, avec ses pairs et les adultes rencontrés dans son établissement scolaire ou lors de la pratique des activités extra-scolaires.

Quelle que soit la façon de préparer l’enfant à ces changements, rien ne remplacera son vécu corporel et psychique, ni les expériences qu’il va vivre en s’engageant dans la relation aux autres.

L’expérimentation des risques

De nombreux parents vivent cette période du développement de leur enfant avec angoisse. Angoisse exacerbée par l’existence des réseaux sociaux qui exposent leur enfant à de nouveaux risques. Car la particularité de l’adolescence est l’expérimentation de risques.

Les prises de risques sont multiples : les défis à moto ou en voiture, la conduite à vitesse excessive et/ou sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants ; les sports à haut risque sans respecter les conditions de sécurité ; les actes de petite délinquance en groupe, voire des actes d’agressions plus graves…

Essayons de regarder les adolescent-e-s comme des êtres en création, avec ceci d’unique qu’il s’agit de la création de leur personnalité d’adulte en devenir.

Pour ce faire, ils puisent dans leurs ressources internes, les fondations qu’ils ont construites pendant leur enfance, avec le soutien de leurs parents. Ils vont également chercher des ressources externes, en avançant par essais-erreurs, y compris dans leurs rencontres amoureuses.

Les adolescent-es vont progressivement sublimer les pulsions sexuelles brutes en les dérivant vers des buts non-sexuels, tels que le sport, la pratique d’activités artistiques (musique, dessin, peinture, street-art etc.), un engagement dans des associations aux finalités altruistes.

Questionner le monde, se révolter 

Le propre de l’adolescence est de questionner la fiabilité de la culture qui l’entoure, donc sa culture familiale d’abord, puis sociale ensuite. Ce questionnement est critique vis-à-vis des adultes, et peut conduire à des mouvements de révolte. Notamment, lorsque l’ado grandit dans un environnement familial et social violent, conscient des injustices qu’il subit ou qu’il observe dans son entourage. 

Ce contexte peut conduire des ados à rejoindre des groupes dans lesquels il se sentira en sécurité, quitte à commettre des actes transgressifs comme prix à payer pour consolider son appartenance au groupe. Il cherche à s’extraire du cercle familial où il est malmené, faute d’être aimé et respecté dans sa famille.

Les liens familiaux sont nos premiers liens humains, ils sont la source qui nous permet ensuite de tisser des liens sociaux et amoureux.

Adolescence et liens familiaux

Les changements que l’adolescent vit et les défis qu’il traverse ne se déroulent pas “hors sol”. Les ados grandissent physiquement et psychiquement dans un environnement familial et social où ils cherchent les points d’appui nécessaires à leur croissance. Nous pouvons dès lors poser la question suivante : comment évoluent les liens familiaux et sociaux que l’adolescent-e tisse avec son entourage ?

Le lien d’attachement, une nécessité humaine

Si notre société actuelle définit l’individualisme comme valeur suprême, le lien d’attachement reste primordial pour notre espèce humaine, il est constitutif de notre être au monde, au moins autant que le besoin de boire et manger.

Ce lien d’attachement se construit dès notre naissance et va évoluer tout au long de la vie. Nous sommes toujours des êtres interdépendants, même si chacun de nous a acquis un degré d’indépendance à l’âge adulte.

Les ados questionnent cette interdépendance dans les liens avec leurs parents, leur fratrie, leurs amis et les adultes qu’ils croisent dans leur espace social. Ils testent la fiabilité de ces liens avec un regard critique qui appuie souvent sur nos incohérences, nos défaillances ou nos contradictions d’adultes.

Prenons ici un exemple clinique pour mieux illustrer mes propos. 

“Jocelyne a 17 ans, elle est hospitalisée pour une tentative de suicide qui révèle un épisode dépressif jusque-là silencieux pour son entourage. Jocelyne grandit dans une famille composée de ses parents et elle-même, elle est fille unique. Ses parents sont cadres supérieurs dans deux entreprises privées, où ils ont d’importantes responsabilités.

Jocelyne est comblée matériellement depuis sa petite enfance, mais elle voit très peu ses parents, accaparés par leur profession qui les conduit à rapporter du travail à la maison, même le week-end. Ils partagent très peu de temps avec elle.

Jocelyne souffre d’un vide affectif que les parents n’ont pas perçu, très soucieux qu’ils sont du déroulement de leur carrière. Un effet d’aveuglement fréquent dans notre société qui prône la performance à tout prix, prix que les enfants et les ados payent cher, trop souvent.”

Le lien d’attachement, tissé dès la naissance, évolue pour le bébé comme pour les parents qui découvrent avec lui les responsabilités parentales.

Tout un village aux côtés d’un adolescent 

En référence à la théorie de l’attachement de John Bowlby l’enfant grandit en se sentant plus ou moins en sécurité, selon la qualité des relations avec ses parents, eux-mêmes en relation avec un environnement familial et social où ils trouvent ou non des ressources humaines sur lesquelles ils peuvent s’appuyer pour répondre aux besoins de leur enfants.

Là encore, notre société de la performance a une fâcheuse tendance à faire porter aux seuls parents la responsabilité des troubles exprimés par les ados. Un raccourci simpliste qui ne permet pas d’aider les ados à trouver leur place dans la société. De plus, il nous exonère trop facilement de nos responsabilités collectives. Comme nous le rappelle un proverbe africain, “Il faut tout un village pour élever un enfant”.

Il n’existe pas de mesure mathématique de ce lien d’attachement, mais il peut être évalué chez l’enfant, l’ado ou l’adulte, par la capacité de chacun d’eux à rechercher et demander de l’aide quand ils ont un obstacle à franchir.

Si l’enfant s’est senti écouté et entendu dans de telles circonstances, qu’il a bénéficié de l’aide suffisante pour sauter l’obstacle, sa confiance en lui et dans les adultes grandit. Il pourra ainsi s’appuyer dessus à l’adolescence.

Si notre société actuelle offre un confort matériel grandissant, elle expose aussi chacun de nous à de nouvelles sources d’angoisses qui peuvent nous déborder, et dont nous déléguons la résolution aux soignants, pensant que nous serions exonérés de notre responsabilité collective. 

Les adolescent-es hospitalisé-es en psychiatrie viennent nous interpeller sur nos faiblesses à leur offrir les appuis solides dont ils ont besoin pour assumer à leur tour leurs responsabilités d’adultes.

Comme un rappel à l’exigence de soigner nos transmissions sur la vie comme elle va, et aussi la vie que nous pouvons améliorer par la bienveillance, la solidarité et la tolérance. Tout cela, en gardant la lucidité nécessaire pour repérer les mouvements de haine qui s’expriment un peu partout, dans les réseaux sociaux, avec leurs effets d’accélération pouvant menacer la santé mentale des adolescent-es.

Je rejoins le docteur Marion Robin, psychiatre, qui décrit dans son livre “Ado désemparé cherche société vivante”, la dérive sociétale actuelle qui consiste à déléguer aux médecins et aux soignants la résolution du mal-être des ados.

Le docteur Robin nous encourage à partager cette responsabilité collectivement, avec les acteurs politiques, les enseignants et les éducateurs, ainsi que les responsables d’entreprise qui doivent respecter le fait que leurs salariés ont aussi des responsabilités parentales.

Des associations pour aider les adolescents 

Les ados questionnent également leur histoire familiale, même et surtout quand elle n’est pas parlée dans la famille. Ils peuvent être dépositaires des traumatismes vécus par leurs parents ou grands-parents, de façon inconsciente, sous forme de secrets de famille. Lorsque ces secrets pèsent lourd, entraînant par exemple l’alcoolisme et la dépression d’un parent, ils deviennent “soignant” de leur parent, emportés dans une inversion des rôles parent/ado. Ils le font pour protéger leur parent en renonçant à leur propre avenir et en négligeant leur scolarité, par loyauté à leur parent malade.

Des associations comme JADE (Jeunes AiDants Ensemble) par exemple, œuvrent à repérer les ados “aidants familiaux” et leur proposent des activités qui leur permettent de reprendre le cours de la construction de leur avenir.

Les clubs de prévention ont pour mission d’aller vers les ados, au plus près de leur lieu de vie, dans les quartiers comme à la campagne, pour faire leur connaissance, les écouter et concevoir et réaliser des projets avec eux, en tenant compte de leurs compétences et de leurs souhaits. 

Ils jouent un rôle important auprès d’eux et de leurs parents, en particulier dans l’éducation à l’usage des outils numériques et à la prévention des risques encourus sur les réseaux sociaux.

Le village prend ainsi forme, ces acteurs associatifs soutiennent les parents et aussi les enseignants dans les collèges et lycées.

Soutenir nos adolescents engagés 

Étant médecin retraité, dont la carrière a été largement consacrée à la protection de l’enfance, j’ai une conscience aiguë que la vie n’est pas un long fleuve tranquille pour les enfants et les ados. Nombre d’entre eux, victimes de violences intra-familiales, dont ils n’ont pas toujours été protégés, vont réagir bruyamment à l’adolescence, en se révoltant ou au contraire en se faisant oublier, ce qui peut être tout aussi dangereux.

Mais j’insiste sur l’importance de regarder les ados avec respect, en considérant d’abord leurs capacités créatives pour les soutenir, en refusant de les réduire à des résultats scolaires, dans un système scolaire qui ne vise qu’à repérer les futures élites, au détriment de tous les autres.

Les médias nous présentent trop souvent les ados dits “à problème”, laissant dans l’ombre nombre d’ados qui font preuve de créativité et d’engagement dans des causes écologiques par exemple. Certains ados trouvent une voie d’expression créative et engagée à travers la création de textes poétiques, qu’ils chantent, rappent ou slament. D’autres encore pratiquent le street-art, un art qui enjolive la grisaille des murs bétonnés des villes.

Je vous invite à découvrir la revue Reporters d’Espoirs”, qui propose une autre façon de traiter l’actualité. D’une part, elle met en avant des profils de jeunes/ou d’adolescents engagés. D’autre part, c’est une revue qui fait du bien au moral, face à l’actualité anxiogène délétère pour la santé mentale des adolescents (et des adultes).

Des ressources autour du sujet de l’adolescence 

Si vous vous retrouvez dans une situation difficile et complexe avec votre/vos adolescent (s), ou que vous vous posiez des questions sur l’adolescence, nous vous invitons à explorer davantage de ressources.

Cet article est le fruit de la lecture du livre du docteur Robin, cité plus haut, et de celle du livre du docteur Phillipe Gutton, Le génie adolescent”. Deux ouvrages que nous vous recommandons à la lecture.

Nous vous conseillons également l’écoute de plusieurs épisodes de podcast de la série “Grand bien vous fasse” sur France Inter :

 

Votre témoignage sur l’adolescence 

Peut-être que l’envie de nous raconter votre histoire a émergé au cours de la lecture. Si tel est le cas, nous vous invitons à réagir à cet article, à témoigner de vos expériences relationnelles avec des ados, que vous soyez parents d’ados, enseignants de collège ou de lycée, acteurs associatifs auprès d’ados ou soignants d’ados.

Vos témoignages seront précieux pour encourager ados et parents à chercher des ressources externes à la famille, quand ils se sentent coincés dans des impasses relationnelles.

Envie de temoigner

Je témoigne