Dans l’article du jour, nous allons traiter la thématique du harcèlement scolaire. Cette nomination des violences exercées à l’école, et commises par des enfants ou des adolescents agresseurs à l’encontre d’autres enfants ou adolescents victimes, n’a pas toujours eu cours. Auparavant, ces violences étaient considérées comme des rituels de passage, une forme de mal obligatoire, qui prenait un caractère institutionnel dans les rituels de bizutage. Aujourd’hui, le harcèlement scolaire constitue un délit inscrit dans le Code pénal.
Nous allons voir comment le harcèlement scolaire se décline du côté de l’agresseur, de la victime et du témoin. Puis, nous verrons comment appréhender ce fléau de santé publique.
Harcèlement scolaire, de quoi s’agit-il ?
Le harcèlement scolaire est une violence exercée entre enfants ou adolescents, dans l’école ou sur le parcours scolaire, entre le domicile et l’école.
Il prend des formes différentes :
- Violences verbales et/ou morales telles que des surnoms méchants, des insultes, des moqueries, des rejets du groupe ;
- Violences physiques, telles que des bousculades, des coups ;
- Vols, tels que vols de fourniture scolaire ou de téléphone portable ;
- Violences sexuelles, telles que des attouchements, un viol en réunion.
Le trio “agresseur, victime, témoin”
Les conflits entre enfants ou adolescents ne datent pas d’aujourd’hui. Le harcèlement scolaire suppose que l’agresseur ait un public de spectateurs, acteurs associés à l’agression de la victime. L’agresseur recherche une reconnaissance de sa position dominante, de son pouvoir sur la victime, dans l’intention de lui nuire, avec l’assentiment du groupe témoin. Si les témoins s’éclipsent ou dénoncent l’agression, l’agresseur est désarçonné, il renonce. Si le public cautionne, l’agresseur triomphe, aux dépens de l’enfant victime.
Voyons à présent plus en détail ce qui se joue auprès de chaque acteur.
Du côté de l’agresseur
L’agresseur installe un pouvoir sur la victime en jouant de sa supériorité réelle ou perçue. Il inflige des douleurs à la victime, qu’elles soient physiques, mais aussi des souffrances émotionnelles et psychologiques.
Ces violences ont un caractère persistant, se répètent dans le temps, exacerbant l’impact sur la victime.
L’agresseur prémédite ses violences. Ses actes ne sont pas fortuits, mais réfléchis. Il recherche un public témoin pour mieux installer son pouvoir sur le groupe et sur la victime, une recherche de leadership et de notoriété aux dépens de la victime.
L’agresseur exprime le rejet de toute forme de différence, il stigmatise certaines caractéristiques : l’apparence physique, le sexe, l’identité de genre, le handicap, un trouble de la communication comme le bégaiement, l’appartenance à un groupe social ou culturel particulier, des centres d’intérêt différents.
Tout cet élan d’agressivité est marqué du sceau de l’intention de nuire en profitant de la présence des témoins pour mieux exercer son sadisme.
L’agresseur et le numérique, ou le cyberharcèlement
Comme si tout ce désastre ne suffisait pas, l’agresseur peut prolonger ses nuisances sur Internet, via tous les canaux du numérique. Les violences prennent alors le nom de cyberharcèlement.
Il s’agit d’un acte agressif intentionnel, perpétré par un individu ou un groupe d’individus au moyen de communications électroniques, de façon répétée, à l’encontre d’une victime qui ne peut facilement se défendre seule.
Le cyberharcèlement a un effet d’accélération et d’amplification du harcèlement, ce qui le rend d’autant plus dangereux. Il atteint l’enfant ou l’adolescent victime dans son espace privé, ce qui provoque une atteinte profonde et quasi-instantanée de son intégrité psychique, déclenchant un sentiment de persécution massif.
Ce lynchage numérique est souvent à l’origine de tentatives de suicide ou de suicide accompli. L’utilisation de photos à caractère sexuel atteint à l’intimité de la victime et alimente un sentiment de honte exacerbé qui conduit tout droit à la tentative de suicide.
Du côté de la victime
Les impacts de ces violences exercées par l’agresseur sont graves, profonds et durables, en l’absence de prise en charge et de réponses institutionnelles adaptées. L’enfant ou l’adolescent victime parlera rarement de sa détresse, dans un premier temps. Il est donc important de connaître les signes d’appel qu’il va exprimer.
Les signes de la détresse chez la victime
- Une chute des résultats scolaires, voire un décrochage scolaire ;
- Une perte d’estime de soi, une tristesse inhabituelle ;
- Des angoisses inexpliquées qui peuvent prendre la forme de colères clastiques ;
- Des troubles du sommeil ou de l’appétit ;
- Des scarifications ;
- Un isolement social ;
- Une phobie scolaire.
Si ces signes d’appel ne sont pas compris par l’entourage familial, ou si les violences sont fortes d’emblée, l’enfant victime peut tenter de se suicider, et quelquefois le passage à l’acte provoque la mort de l’enfant, comme nous le rappelle malheureusement l’actualité.
Attention, car ces signes ne sont pas toujours exprimés ; l’enfant ou l’adolescent victime peut ne rien changer à ses comportements habituels.
Du côté des témoins
Les témoins du harcèlement scolaire sont donc présents lors de l’agression. Ils participent à l’exercice des violences de façon passive, venant ainsi renforcer le pouvoir de nuisance de l’agresseur, et lui offrant temporairement le succès qu’il recherche auprès du groupe.
Depuis des siècles, les groupes se sont fédérés sur la présence d’un bouc émissaire, hier comme aujourd’hui. L’art de se réjouir du malheur des autres, en pensant qu’on en serait protégé est un leurre, car attention, la roue tourne, de témoin, on peut passer victime.
Il en va des enfants et des adolescents, comme des adultes auxquels ils s’identifient.
Nous retrouvons ces conduites agressives groupales dans les milieux professionnels, on parle alors de harcèlement professionnel. Je vous invite par ailleurs à découvrir notre article sur le sujet.
Le harcèlement scolaire : pourquoi tant d’agressivité ?
Le harcèlement scolaire est une expression de l’agressivité des enfants ou adolescents, les uns envers les autres. L’agresseur tente d’installer une relation asymétrique d’emprise sur la victime, il ne s’agit plus d’un banal conflit. Arrêtons-nous sur le sens de l’existence de l’agressivité.
L’agressivité est inhérente à notre espèce, comme aux espèces animales. Elle a permis à l’espèce humaine de survivre dans la nature, pour faire face aux menaces d’autres espèces animales dangereuses, et aussi à d’autres groupes humains menaçants. C’est un comportement qui résulte de la nécessaire adaptation à notre environnement.
Lors de la lente et longue évolution de notre espèce humaine, nous avons dû chasser pour nous nourrir, nous protéger des attaques animales ou celles d’autres humains, pour survivre.
Quand l’agressivité s’exprime par des comportements où la violence verbale et physique s’exerce envers d’autres personnes, contre des objets ou contre soi, elle déborde et menace autrui ou la personne elle-même.
Où l’agressivité prend-elle sa source ?
Outre l’héritage des générations précédentes, les recherches montrent que l’agressivité non maîtrisée serait due à des carences affectives et relationnelles dans l’enfance. Ces enfants n’ont pas vu leurs besoins relationnels et affectifs satisfaits, et ont dû forcer leur entourage à s’occuper d’eux. Ils ont construit leurs relations dans le rapport de force et ont appris et intériorisé le non-respect d’autrui.
L’autre “école de l’agressivité”, si je puis dire ainsi, est le milieu familial, où l’enfant est exposé aux violences conjugales, commises le plus souvent par le père à l’encontre de la mère.
Les enfants exposés à ces violences conjugales vivent un climat de terreur permanent, dans l’espace privé où ils devraient être protégés du monde extérieur. Certains enfants s’identifient à l’agresseur et deviennent eux-mêmes agresseurs.
Comment répondre à ce fléau de santé publique ?
Les statistiques disent que “700 000 enfants et adolescents” (Enquête Éducation Nationale 2023, disponible sur le site education.gouv.fr) seraient victimes de harcèlement scolaire en France, chaque année. Ce chiffre donne la mesure du problème.
Pour y répondre, la mobilisation de tous les adultes est nécessaire :
- Celle des parents, responsables des comportements de leur enfant et de son éducation ;
- Celle des personnels de l’Éducation nationale, directeurs d’établissements, professeurs et personnels encadrants ;
- Celle des autorités de police et de justice, à chaque fois que la protection des victimes est nécessaire, et que des sanctions doivent être prises à l’encontre des agresseurs.
Que dit la loi sur le harcèlement scolaire ?
Pour rappel, la loi prévoit, dans le Code Pénal, une peine de 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende si la victime du harceleur a fait une tentative de suicide ou s’est suicidée ; 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende si une Incapacité Temporaire Totale (ITT) de travail est inférieure à 8 jours ; 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende si l’ITT est supérieure à 8 jours.
Prévention et médiation
Avant de mettre en œuvre ces mesures répressives, il existe des actions de prévention dans les établissements scolaires, et des actions de médiation et de régulation.
Une des mesures importantes est d’offrir aux enfants et aux adolescents victimes un espace bien identifié dans l’établissement scolaire, où il trouvera des adultes formés à l’écouter, en l’encourageant à exprimer ses émotions sans porter de jugements.
Simultanément, des actions de protection doivent se mettre en place dans l’établissement. Si ce n’est pas fait, le danger va augmenter pour l’enfant, et il va perdre toute confiance dans les adultes censés le protéger.
Rarement, la victime parlera à ses parents, par peur de les déranger, de leur occasionner des soucis supplémentaires. D’où l’importance d’un dispositif d’écoute dans l’établissement scolaire.
De nombreux établissements scolaires ont nommé des ambassadeurs, parmi les élèves, en charge de prévenir le harcèlement scolaire et d’être à disposition de leurs pairs.
Certains font appel à des compagnies de théâtre, pour aider les élèves à prendre conscience des impacts violents du harcèlement, en particulier lorsqu’il est banalisé derrière la vitrine de l’humour.
Des équipes d’école maternelle ont mis en place la méthode dite du “message clair”, méthode d’apprentissage de l’empathie, dès le plus jeune âge.
D’autres ressources
En complément de cet article, je vous propose d’autres ressources. Vous pouvez consulter plusieurs sites internet complémentaires :
- Le site education.gouv.fr, à la rubrique “harcèlement scolaire” ;
- Le site e-enfance.org qui porte le numéro vert d’écoute 3018, disponible pour les parents, les professionnels et les victimes ;
- Le site phobie-scolaire.org qui délivre des conseils pratiques aux parents d’enfants victimes de harcèlement scolaire.
Le harcèlement scolaire est un vaste sujet, qui mobilise notre responsabilité à toutes et tous, car les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain, et notre capacité à les éduquer dans le respect de l’autre, si différent soit-il, fera d’eux des citoyens responsables dans une démocratie apaisée.
Si ce sujet vous intéresse, que vous ou votre enfant avez été ou êtes confrontés au harcèlement scolaire, nous serons heureux d’accueillir votre témoignage. Si vous menez des actions de prévention du harcèlement scolaire, vos mots font office de ressources précieuses.