Le récit d’une dépression professionnelle - Hors-Normes
Témoignage poignant d'une survie face au burn out professionnel. Comment surmonter la dépression au travail pour renaître plus forte.

Le récit d’une dépression professionnelle

écrit par Loren

Surnommée Shiva parce que capable de gérer mille tâches professionnelles en même temps, je suis de nature à foncer et rien ne me fait peur. Il me plait d’ailleurs de me décrire comme un bulldozer. Aujourd’hui, je vais vous raconter comment j’ai été mise à l’arrêt, j’ai perdu toute confiance en moi et j’en suis arrivée à penser à mettre fin à ce que je vivais. 

En effet, j’ai subi sur mon lieu de travail, pendant un an et demi, du harcèlement moral et de l’abus d’autorité. Mon médecin m’a arrêtée pendant six mois pour une dépression professionnelle. La bonne nouvelle, c’est que cette épreuve m’a rendue plus forte. Avec beaucoup de courage, de volonté et de force intérieure, je me suis à nouveau mise en état de marche. Aujourd’hui, je ne suis plus un bulldozer, mais une « machine de guerre » (rires). Vous vous demandez comment cela s’est passé ? C’est parti pour mon récit. 

Un environnement de travail inhumain 

Je travaillais en tant que responsable paie et Système d’Information Ressources Humaines (SIRH) pour un grand groupe qui gérait 20’000 collaborateurs. J’avais sous ma responsabilité une trentaine de gestionnaires paie ainsi que les responsables paie et SIRH. Il y avait au-dessus de moi, mon N+1, personne avec qui j’avais travaillé sur un précédent poste et qui m’avait débauchée. Il y avait également un autre directeur et la responsable paie France. C’est cette dernière qui avait le pouvoir au sein du groupe.

Elle m’envoyait des scuds à chaque réunion de bilan mensuel. Je n’avais même pas le temps de m’asseoir qu’ils m’atteignaient déjà, sans possibilité de les esquiver. Elle ne me disait même pas bonjour et débutait ainsi : « Encore une fois, on va passer un bon moment ». Voilà pour l’ambiance générale. 

Moi dans tout cela ? Au début, les boulets de canon ne m’atteignaient pas, ils me passaient au-dessus. J’enfilais mon casque de baseball invisible, je me parais pour le champ de bataille avant chaque réunion. Mon défi consistait à remplir mon devoir de résultat sur les 20’000 paies du groupe. Experte dans mon domaine, armée de mes 20 ans d’expérience, je n’avais pas de doutes, rien ne me freinait. 

Puis petit à petit, j’ai été stoppée dans mon élan et j’ai commencé à me dire que j’étais nulle, que je devais travailler plus car mes supérieurs n’étaient pas satisfaits de mon travail. Au lieu de travailler de 8h à 20h, je travaillais de 8h du matin à 3 heures du matin (18h non-stop). Je sacrifiais mes vacances et ma vie de famille. Je n’avais pas droit à l’erreur ni de montrer le moindre signe de faiblesse, de dire que je ne savais pas ou que je doutais.

Jusqu’au jour où j’ai reçu un boulet de canon énorme qui a fait déborder le vase. J’étais en vacances, j’avais dû travailler jusqu’à point d’heure pour avoir zéro faute sur un dossier. J’arrive en réunion, confiante et on me dit : « Vous avez fait n’importe quoi sur ce dossier, c’est inadmissible, vous saviez que c’était un dossier sensible, qu’on attendait un zéro faute. Vous ne savez pas faire votre travail. Il faut retourner à l’école pour apprendre votre métier. On peut vous payer des formations ». Je leur demande de me donner du factuel, pour savoir quelles étaient mes erreurs. On me rétorque : « Vous avez fait 5 erreurs sur 20’000 ». Ils m’ont flagellée en public, comme à chaque fois, devant mes collègues. D’ailleurs, personne ne me soutenait, hormis un supérieur.

Dégoutée, fatiguée moralement, j’ai raccroché et je me suis effondrée en larmes pendant une semaine. Je n’étais plus capable de réfléchir, mon cerveau était devenu comme une éponge, il avait grillé. J’essayais de réfléchir et de penser, mais je n’y arrivais pas. 

La dépression professionnelle, une maladie invisible 

À partir de là, j’ai touché terre. J’étais blessée mentalement et atteinte psychologiquement. Mon médecin m’a arrêtée pour une dépression professionnelle. C’est la phase avant le burn-out. Ce diagnostic m’a quelque part rassurée et m’a aidée à me relever. 

Mais avant cela, j’ai tout remis en question : mon métier, que je pensais ne plus savoir exercer et ma personne. J’ai perdu toute confiance en moi, je me suis dit que : « Je n’étais qu’une m….*, que personne ne m’aimait et ne s’intéressait à moi, que j’avais tous les défauts du monde, que j’étais grosse et moche, que tout était de ma faute… Que je n’avais plus besoin de vivre ici. Que je sois là, ou pas, c’était pareil, alors autant ne plus être un boulet pour les gens… ». 

Si je n’avais pas eu ma fille, mon fils et mon mari, les choses auraient mal tourné. Je n’ai pas vu de psychologue, ils étaient ma thérapie à moi. Mon équilibre familial, amical, ainsi que mes ex-collègues qui me connaissent et savaient de quoi j’étais capable, m’ont permis de ne pas couler, de sortir la tête et le corps de l’eau.  

Avec du recul, je me dis que c’est plus difficile de refaire surface et retrouver sa confiance en soi, que de se laisser aller à la dérive et couler. J’ai refait surface, oui, mais avec des séquelles. Car une dépression professionnelle ne laisse pas de cicatrice visible. Ce n’est pas un virus que l’on peut guérir avec un antibiotique. Lorsque le mental est atteint, c’est l’une des pires maladies car il ne se soigne pas directement et efficacement. J’ai sans arrêt des rappels à l’ordre qui me ramènent à cette période de ma vie. Tout ce que j’ai construit pendant des années s’est effondré et cela prend énormément de temps à récupérer. J’ai aussi beaucoup culpabilisé de ne pas avoir dit stop, de ne pas avoir menacer la DRH de porter plainte, face au harcèlement moral qu’elle me faisait subir. Je m’en suis voulu de ne pas avoir pu mettre des limites.

Après le désespoir, le sourire 

Puis un matin, je me suis levée, déterminée, en mode : « Je suis la seule à pouvoir changer les choses ». Je me suis demandé ce qui me ferait plaisir, me pousserait à me lever, à sourire à nouveau et à m’empêcher de pleurer. Et j’ai trouvé. J’ai repris une formation dans le domaine de l’immobilier. Cette formation a été pour moi une source de motivation sur le court terme et m’a redonné espoir. Mes doutes n’ont pas disparu, mais cela m’a permis de ne pas broyer du noir. 

L’épreuve que j’ai vécue était inhumaine. Je ne traiterai pas mes pires ennemis de la façon dont cette DRH m’a traitée et humiliée. Je n’étais plus considérée comme un humain, mais seulement comme un robot productif. 

Avec du recul, je relativise beaucoup. À force d’en parler et d’écouter d’autres personnes me raconter ce qui leur arrive, je me dis que ce que j’ai vécu n’était pas si grave. J’ai toujours me deux bras et mes deux jambes, je suis en bonne santé.

Ce qui est important lorsqu’on vit ce genre de situation est de ne SURTOUT pas s’isoler et de continuer à voir du monde, même si on a l’impression d’être seul au monde. Parler de son mal-être est aussi essentiel. Au début, j’avais honte de ce qui m’arrivait, mais en parler m’a aidée à aller de l’avant.  Chercher nos motivations, ce qui peut nous aider à sortir du pétrin, est aussi une bonne piste.

Récemment, j’ai eu la confirmation que je n’étais pas fautive… Car au fond de moi, je me disais avoir fauté. J’ai appris que la DRH harceleuse avait été licenciée, car elle avait fait subir la même chose à la personne qui a repris mon poste. Cela m’a aidée à reprendre confiance en moi. 

Aujourd’hui, j’ai créé ma société, toujours dans le domaine de la paie et des SIRH. Je recherche des structures plus petites pour concilier mon métier avec l’humain, chose que je ne retrouve plus dans les grands groupes. J’ai choisi un cadre de travail où je me protège et je suis la seule décisionnaire. 

Je me dis que j’ai bien fait de ne pas mettre fin à ma vie, ça n’en vaut pas le coup. Je serais passée à côté de ces moments si précieux qui me donnent le sourire : voir mes enfants grandir, et partager des moments de vie exceptionnels avec d’autres humains.

 

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