Ce dossier aborde l’ensemble des violences qui s’exercent à l’encontre des enfants dans leur milieu familial, en incluant leur exposition aux violences conjugales, thème abordé dans un autre dossier.
Après une brève histoire de l’évolution de la place de l’enfant dans la société française, nous détaillerons chacune des formes de violences que les enfants peuvent subir dans leur famille.
Nous présenterons ensuite les dispositifs de protection et de soins nécessaires au rétablissement de leur sécurité et au traitement des conséquences des violences subies sur leur santé physique et mentale.
Mais avant cela, je souhaite partager avec vous les mots de Janusz Korczak, médecin et psychopédagogue polonais du début du 20e siècle, en guise de propos introductif.
“Vous dites : c’est fatigant de fréquenter les enfants. Vous avez raison. Vous ajoutez : parce qu’il faut se mettre à leur niveau, se baisser, se courber, se faire petit. Là, vous avez tort. Ce n’est pas cela qui fatigue le plus. C’est plutôt le fait de s’élever jusqu’à la hauteur de leurs sentiments. De s’étirer, de s’allonger, de se hisser sur la pointe des pieds. Pour ne pas les blesser.”
Le docteur Korczak nous encourage ainsi à prendre soin des enfants, quand nous sommes capables de prendre soin de notre enfant intérieur, dont les adultes qui nous entouraient ont su prendre soin.
Lorsque notre enfance a été abîmée par des traumatismes qui n’ont été ni reconnus, ni dépassés, le cycle des violences va continuer, comme vous le comprendrez à la lecture de ce dossier.
Brève histoire de la place de l’enfant dans la société française
L’enfant né au 19e siècle était promis à une vie difficile, surtout dans les milieux populaires, à la ville comme à la campagne. Exposé aux maladies infantiles pour lesquelles aucun traitement ni aucun vaccin ne le protégeait, il était aussi très exposé aux violences ordinaires subies dans sa famille ou dans son environnement. Son destin tragique le conduisait à travailler dès l’âge de 7 à 8 ans, parfois 5 à 6 ans dans les mines de charbon.
L’école républicaine a débuté avec la loi défendue par Jules Ferry (loi du 16 juin 1881 établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire dans les écoles publiques), ce qui commençait à retarder l’âge d’entrée dans le travail forcé et non rémunéré. Sans pour autant le protéger des violences ordinaires dans la cour d’école ou à la sortie des classes.
Filles et garçons étaient très exposés à la sexualité des adultes, proies faciles et silencieuses des hommes de leur famille ou de l’entourage social. Sans qu’il ne s’en suive aucune plainte ni aucune protection, pour eux et elles, comme pour les femmes battues par leur conjoint. Toutes les affaires de la sphère familiale privée, où le père et la mère exerçaient leur pouvoir sans jamais avoir à répondre de leurs actes violents, sauf de rares cas où ils étaient commis sur la voie publique et troublaient l’ordre public, illustrent à quel point leur dangerosité était cautionnée par le système social et politique de l’époque. Et ce, quel que soit le type de violence, physique ou sexuelle.
Ce sombre tableau a commencé à s’améliorer avec l’évolution des lois de protection de l’enfance, formalisées à partir de 1945.
Les violences intrafamiliales aujourd’hui, en quelques chiffres
Qu’en est-il aujourd’hui de la place de l’enfant dans la société française ? Je vous propose de regarder quelques chiffres de l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance (ONPE)
Les violences physiques
- En 2021, 12 % de femmes et 12,2 % d’hommes de plus de 18 ans déclarent avoir subi des violences physiques avant 15 ans, d’un ou des deux parents (source enquête Genèse, Service Statistique Ministère de la Sécurité Intérieure SSMSI 2022) ;
- En 2023, 51 764 sont victimes mineures, source SSMSI 2023 ;
- En 2022, 60 mineurs décédés suite à des violences physiques.
Les violences sexuelles
- En 2020, 4,6 % de femmes et 1,2 % d’hommes de plus de 18 ans déclarent avoir subi des violences sexuelles avant 15 ans, par un membre de la famille (source enquête INSERM 2023) ;
- En 2023, 19 492 victimes mineures de violences sexuelles dans un cadre familial sont concernées par une plainte (source SSMSI 2023) ;
- En 2021, 6,1 % de femmes et 1,8 % d’hommes de plus de 18 ans ont subi des violences sexuelles avant 15 ans (enquête Genèse, SSMSI 2022).
Les violences psychologiques
- En 2015, 14,2 % de femmes de plus de 20 ans ont subi des violences psychologiques avant 18 ans (enquête Virage, INED 2020) ;
- En 2021, 7,6 % de femmes de plus de 18 ans ont subi des violences psychologiques avant 15 ans (enquête Genèse, SSMSI 2022).
Exposition aux violences conjugales
- En 2019, 398 310 enfants ont été co-victimes de violences conjugales (enquête Cadre de Vie et Sécurité, Haut Conseil à l’Egalité femmes, hommes) ;
- En 2021, 14,9 % de femmes et 9,8 % d’hommes de plus de 18 ans ont été témoins de violences conjugales (enquête Genèse SSMSI 2022) ;
- En 2022, 129 mineurs sont devenus orphelins suite à la mort violente d’un parent tué par le conjoint ; 12 mineurs sont décédés, victimes d’infanticide dans un contexte de violences conjugales (source Morts violentes au sein du couple, SSMSI).
Les négligences, une forme de violence intrafamiliale
Aucune donnée chiffrée nationale ne permet aujourd’hui d’estimer les situations de négligences subies durant l’enfance. Vous en comprendrez la raison en lisant le rapport de l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance (ONPE) intitulé “Les négligences intrafamiliales”.
Ces chiffres donnent la mesure de la gravité des violences subies par les enfants, mais ils ne sont pas exhaustifs, car ils ne mesurent que les situations où des plaintes ont été déposées. Tout cela, sachant que dans de nombreux cas de violences intrafamiliales, continue de régner la loi du silence qui maintient les femmes et les enfants dans un climat de terreur entretenu par le pouvoir tyrannique de l’agresseur.
Ce système violent s’apparente aux régimes politiques qui pratiquent la torture pour asseoir et maintenir leur pouvoir.
Les différentes formes de violences intrafamiliales
Revenons maintenant de façon plus détaillée, sur chacune des formes de violences énoncées ci-dessus.
Les violences physiques
Elles s’exercent sur le corps de l’enfant, ils sont frappés à la main ou avec divers objets, ceintures, bâtons, fils électriques ou autres. Des brûlures par cigarettes ou exposition à de l’eau bouillante sont aussi constatées.
Ces coups provoquent des hématomes, des fractures, des brûlures cutanées, des hémorragies intra-abdominales quand les coups sont portés dans l’abdomen.
Les coups portés à la tête de l’enfant peuvent provoquer des fractures et des complications neurologiques.
Le syndrome du bébé secoué est très dangereux, il provoque des hémorragies cérébrales avec de graves complications, convulsions, comas et quelquefois la mort du bébé.
Tous ces signes peuvent être repérés par les adultes des lieux fréquentés par l’enfant : crèche, centre de loisir, école, collège ou lycée.
À fortiori, ils peuvent aussi être détectés par les médecins et infirmières des urgences, ou par le médecin traitant.
Nous verrons plus loin comment répondre à ces constats de danger.
Les violences sexuelles
Les violences sexuelles commises sur un enfant par un parent, un frère ou une sœur, sont des actes incestueux.
Ils sont plus difficiles à repérer, car ils laissent rarement des traces visibles sur le corps de l’enfant. De plus, l’abuseur fait peser des menaces sur l’enfant, en usant de séduction puis de violences, pour l’empêcher de parler.
La divulgation des actes incestueux par la victime va mettre le système familial en crise, l’enfant est alors exposé à être rejeté de sa famille, risque qui doit être pris en compte dès le début de sa prise en charge.
De plus, l’emprise exercée par l’abuseur va continuer, un simple regard de l’abuseur peut provoquer la rétractation des révélations faites par l’enfant.
Les violences psychologiques
Elles s’exercent sans laisser de traces visibles sur le corps de l’enfant. Il s’agit d’humiliations verbales, d’insultes, de disqualifications qui portent atteinte à l’intégrité psychique de l’enfant, par leur répétition et leur systématisme.
L’estime de soi de l’enfant en est très altérée. L’enfant, par ces attaques verbales quotidiennes, doute sans arrêt de ses capacités, il est empêché de progresser dans ses apprentissages et dans sa curiosité pour le monde qui l’entoure. Il est entravé dans ses capacités à développer des relations sociales et amicales.
Le repérage des violences psychologiques sans autre forme de violences, physiques et/ou sexuelles, est difficile. Il est important de l’évoquer quand un enfant présente des troubles anxieux ou des signes dépressifs.
Précisons ici que toute forme de violence physique ou sexuelle s’accompagne de violences psychologiques, dont les effets à long terme sont toujours graves.
L’exposition aux violences conjugales
Les enfants exposés aux violences conjugales sont maintenant considérés comme des co-victimes, au même titre que leur mère victime de leur conjoint agresseur, père ou beau-père des enfants.
Ils vivent un climat de terreur quotidienne, ils développent une hypervigilance, comme leur mère, pour tenter de jauger l’humeur de l’agresseur, dans l’angoisse de ce que leur mère va subir, des insultes, des coups ou de la violence sexuelle à laquelle elle est soumise.
Le niveau exacerbé d’angoisse a de graves conséquences sur l’équilibre psychologique des enfants. Il entrave les capacités relationnelles et les capacités d’apprentissage des enfants, la plupart sont en échec scolaire ou le deviennent.
Les enfants vivent des angoisses de mort très perturbantes pour leur santé mentale. Quand ils ne finissent par être témoin du meurtre de leur mère par l’agresseur.
Pour faire face à ce degré d’angoisse, les enfants essaient de se protéger dans le silence ; en grandissant, ils ont recours à l’alcool ou aux drogues pour calmer leur angoisse.
S’ils s’identifient à l’agresseur, ils développent des comportements violents, deviennent délinquants et exercent à leur tour des violences sur leur copine ou leur conjointe.
Ces conséquences désastreuses nous obligent à un repérage précoce de ces situations et à une prise en charge adaptée, que nous aborderons plus loin.
Les négligences intrafamiliales
Il ne s’agit plus de violences directes, mais de négligences de soins qui concernent tous les aspects de la vie de l’enfant : les soins corporels, l’alimentation, la vêture, l’accès aux apprentissages scolaires, à des activités ludiques, artistiques ou sportives.
L’enfant n’est pas lavé, il présente des lésions cutanées non soignées, il arrive à l’école avec des vêtements sales, déchirés ou inadaptés à la météo… Ces signes d’appel nécessitent une évaluation de ces conditions de vie familiale pour proposer des aides adaptées aux parents.
Ces négligences peuvent survenir dès la naissance du bébé, ou à tout moment de son développement, quand le ou les parents traversent une crise qui les submerge (chômage, divorce, accident, deuil…) qui les éloigne de leurs responsabilités parentales.
Quand les négligences sont précoces et durables, elles compromettent le développement physique et psychique de l’enfant. Elles ralentissent sa croissance, l’enfant ne grandit pas et ne grossit pas suffisamment, le développement de ses capacités psychomotrices, marcher à 4 pattes puis debout sans appui ; elles perturbent ses capacités cognitives et sensorielles, donc la vue et l’audition, et ses capacités de langage et de communication.
Quand les négligences commencent plus tard, elles vont provoquer des réactions dépressives ou de l’agressivité inhabituelle.
Comme nous l’avons vu plus haut, les négligences ne sont pas quantifiées par des statistiques. Elles sont plus difficiles à identifier par l’entourage social, les signes de souffrance que l’enfant présente doivent être mis en relation avec les négligences des parents, ce qui reste difficile pour certains professionnels.
Repérer les violences intrafamiliales
Face aux négligences comme à toutes les autres formes de violences présentées ci-dessus, chacun de nous, citoyen ou professionnel, est confronté à cette dure réalité : des adultes agressent violemment des enfants, ce qui peut nous paraître impensable, comment en arriver à de telles atrocités ?
La gravité des préjudices subis par les enfants, leurs conséquences sur leur développement et leur avenir d’adulte, nous obligent à une vigilance permanente. Elles nous obligent à un repérage précoce de ces violences, et à une prise en charge qui restaure la sécurité de l’enfant. La sécurité de l’enfant est un besoin fondamental et prioritaire pour lui permettre de grandir en exprimant toutes ses capacités relationnelles.
Prises en charge des violences et négligences faites aux enfants
La particularité de ces prises en charge réside dans le fait qu’elles ne sont pas mises en œuvre par un seul domaine de compétences, sociale, judiciaire, médicale, psycho-éducative et thérapeutique.
Ces prises en charge nécessitent une coordination de tous les intervenants, chacun dans son champ de compétences et dans le respect des autres intervenants.
Sachant que certaines familles à transactions violentes et très dysfonctionnelles, vont tenter de mettre les intervenants en conflit les uns avec les autres, pour continuer d’exercer leur pouvoir et leur toute-puissance, car les agresseurs se considèrent au-dessus des lois, “la loi, c’est moi”, en particulier dans les situations d’inceste.
Lorsque des inquiétudes surviennent, dans le voisinage de la famille, à l’école ou dans tout lieu fréquenté par l’enfant, le numéro 119 doit être appelé pour transmettre ces inquiétudes. En fonction de leur contenu, les suites seront assurées par les écoutants du 119.
Les professionnels de l’enfance ou de l’éducation peuvent contacter la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes de leur département (CRIP). Là aussi, les écoutants décideront des suites à donner.
Quand les médecins constatent des lésions provoquées par un parent, ils ont l’obligation de transmettre leurs constats au Procureur de la République qui décidera des suites à donner : mesure de placement pour protéger immédiatement l’enfant, et demande d’enquête aux services de police, de gendarmerie, ou à la brigade des mineurs.
Dans les situations qui ne relèvent pas de telles urgences, les services sociaux du Conseil Départemental sont sollicités pour réaliser une évaluation du fonctionnement familial en trois mois.
Après cette phase d’évaluation, qu’elle soit administrative, policière ou judiciaire, des mesures d’aide à la famille ou de protection sont mises en place.
Cette phase est nécessaire avant d’envisager une prise en charge thérapeutique de la famille, car l’enfant ne pourra y participer activement que s’il se sent protégé et en sécurité dans son lieu d’accueil.
Les autres numéros d’urgence
Pour rappel, en cas d’urgence, vous pouvez appeler le 15 pour accéder à des soins, le 17 pour accéder à une protection policière.
Si vous sentez qu’un enfant est en détresse, vous pouvez appeler le 119.
Si vous êtes victime de violence conjugale, appelez le 3919, vous serez écouté et conseillé par des personnes formées et compétentes.
Deux références pour la prise en charge des enfants victimes de violence intrafamiliales
Voici deux références qui vous permettront d’approfondir ces questions :
- Jorge Barudy, dans son livre “La douleur invisible de l’enfant, approche éco-systémique de la maltraitance”, présente son expérience thérapeutique qu’il a nommé “modèle thérapeutique et de prévention fondé sur une pratique en réseau”;
- Rapport de l’Académie Nationale de Médecine, portant sur les maltraitances physiques faites aux enfants, à l’exclusion des autres formes de maltraitance, où sont clairement exposées les différentes étapes de soins donnés aux enfants maltraités.
En guise de conclusion temporaire, je reviens vers Janusz Korczak, dont vous pouvez découvrir l’œuvre dans un épisode de podcast de France Culture.
Le docteur Korczak était en avance sur son temps. Sa démarche et son engagement annonçaient la création de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, dont vous pouvez lire l’intégralité sur le site de l’UNICEF.
Bonne lecture et merci d’avoir pris le temps de vous pencher sur ces douloureuses questions, mais combien importantes, car chacun de nous porte une part de responsabilité pour assurer aux enfants la sécurité dont ils ont besoin pour grandir, s’épanouir, exprimer tous leurs talents et devenir des citoyens dignes et respectueux d’eux-mêmes et des autres.
Les références bibliographiques sur la question des violences intrafamiliales
- L’enfance violentée, Brigitte Camdessus, Michel C.Kiener, éditions ESF ;
- De l’inceste, Françoise Héritier, Boris Cyrulnik, Aldo Naouri, éditions Odile Jacob ;
- L’inceste, comprendre pour intervenir, A. Crivillé, M. Deschamps, C. Fernet, M-F Sittler, éditions Dunod, Enfances clinique ;
- La violence impensable, inceste et maltraitance, F. Gruyer, M. Fadier-Nisse, docteur P. Sabourin, éditions Nathan ;
- L’homme agressif, Pierre Karli, éditions Odile Jacob, Points ;
- Clinique de la dignité, Cynthia Fleury, éditions du Seuil ;
- La perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui, Jean-Pierre Lebrun, éditions Denoël ;
- Quand la famille s’emmêle, Serge Hefez, éditions Hachette-littératures, Pluriel.
Si vous souhaitez proposer d’autres lectures, elles seront les bienvenues.
Des mots autour des violences intrafamiliales
Si ce sujet vous inspire, vous pouvez nous adresser votre témoignage, que vous soyez professionnel engagé dans la prévention, les soins ou la protection de l’enfance.
De même, si vous avez été victime de violence intrafamiliale et que vous avez bénéficié de protection et de soins adaptés à vos besoins, nous vous invitons à témoigner.