Le sourire d'une mère - Hors-Normes
Découvre le témoignage de Barbara, vaillante survivante d'une dépression post-partum sévère. Toi aussi, réagit et témoigne.

Le sourire d’une mère

écrit par Barbara

J’ai 22 ans à l’époque. Depuis toujours, lorsque j’imagine ma vie, je ne visualise qu’une seule chose : être mère. Quand j’ai appris que j’étais enceinte, c’était le plus beau jour de ma vie. J’étais tellement heureuse de l’annoncer à tout le monde.

La boule au ventre

Je travaillais alors dans une chaîne de fast-food, mais pour mes employeurs, mon bonheur ne rimait qu’avec complications et corvées. Bien embêtés que je doive les quitter un certain temps, ils m’ont laissé les tâches les plus ingrates, voire même interdites aux femmes enceintes, au lieu de me proposer les postes aménagés auxquels les femmes enceintes ont le droit. Je me rendais au travail la boule au ventre. Je suis allée voir un médecin du travail, une dame. J’espérais que de femme à femme, il y ait une entente, une connivence. Mais elle n’a pas voulu m’arrêter, car pour elle, il y avait pire comme travail… Finalement, c’est ma gynécologue qui s’en est chargée. 

Si seule 

Je suis arrêtée, et je me retrouve seule, dans la campagne, sans voiture, pendant que mon conjoint travaille. Notre petit appartement ne comporte qu’une chambre, et nous n’avons pas beaucoup de moyens financiers. Malgré tout, je couds quelques petites choses pour ce bébé qui va arriver. 

Ma famille, quant à elle, se rassemble, passe du temps ensemble, car ils vivent proches les uns des autres. Mais moi, je suis seule. Je vois quelques anciennes collègues de temps en temps. Mais le plus souvent, je me retrouve seule.

Si lourde

Le test de dépistage du diabète n’est pas concluant, je dois faire attention à ce que je mange. C’est l’été. Je suis frustrée, fatiguée, triste et seule… Et lourde, très lourde. J’ai pris 35 kilos, j’ai du mal à marcher. Cette grossesse ne ressemble pas à celle que j’avais imaginée, rêvée, fantasmée.

Sale

Mon premier enfant naît au milieu de la nuit, rapidement. Cette naissance est presque comme je l’avais imaginée, elle. Je serre mon enfant contre moi. Quand il part pour être pesé et habillé, je demande à son père de l’accompagner, car moi, je suis clouée au lit. Seule. Branchée. Sale. Vide. Toute seule…

Tant submergée

Tout le monde est en joie de tenir cet enfant chéri, et moi, je sens une vague d’émotions me submerger. Un raz-de-marée. Un tsunami. Elle emporte tout sur son passage : mes douleurs, mes rêves, la jeune fille que j’étais. Pour ne laisser que la mère, engloutie par la mer agitée.

Mon conjoint s’endort, mon enfant, lui, est tout calme dans ses bras. Il manque de le laisser glisser à terre. Je crie. Je ne peux pas bouger. Je suis toujours dans mon lit d’accouchement. Sale. Branchée. Vide. En plus, je saigne.

Si triste 

La peur et la tristesse me tordent le ventre. Je récupère mon enfant. Je le serre contre moi. Je rêve d’un bel allaitement long. Mais encore une fois, mes rêves se désagrègent comme une statue de sable dans l’océan. Personne ne m’aide à la maternité. Personne ne m’entend. Personne ne me voit.

Quand nous regagnons enfin notre chambre, je n’ai pas dormi depuis 24h. Je contemple ce bébé que j’ai fabriqué de toutes pièces ! Papa et bébé, eux, dorment. Les sage-femmes me répètent à chaque visite : « Dormez ». Mais comment pourrais-je ? C’est le plus beau jour de ma vie ! Pourtant, je me sens si triste. Vide. Seule.

Le soir vient, il est 21h, c’est la fin des visites. Ma famille part, heureuse de ce nouvel être vivant accueilli. Mon conjoint part lui aussi. Il a besoin de rentrer se reposer, de réaliser qu’il est papa, et n’aura plus jamais la même vie. J’ai besoin de lui. Moi aussi, j’ai besoin d’embrasser cette nouvelle vie. Mais, il part. Ma mère hésite. Je ravale mes larmes, et lui dit que ça va aller. Je n’ai pas dormi depuis 36h.

Effondrée

On parle de la première douche sur les réseaux, mais jamais de la première nuit. Une fois cette porte fermée, je suis seule avec mon fils. Collé contre mon cœur, je m’effondre en pleurs, de tristesse, d’inquiétude, de panique, d’angoisse, de fatigue. Je dors quelques minutes. Mais mon fils, qui a dormi toute la journée, se réveille. Il pleure. J’ai du mal à le mettre au sein, je suis fatiguée. Alors je le berce. Quand il s’endort enfin, je m’effondre à nouveau. Puis je ferme les yeux, juste un instant. Mais mon fils pleure, à nouveau. Je ne comprends pas. J’appelle les sage-femmes à l’aide, pour comprendre, pour dormir. Et on me répond : « C’est ça d’avoir un enfant ». Le soleil se lève, je berce mon fils encore et toujours. Mon conjoint passe la porte. Il a dormi, pas moi. Une colère froide et sinueuse s’installe dans mes entrailles.

Vide 

Je lui donne notre fils, le temps d’une douche. Cette fameuse première douche. Je suis sale, vide, désespérément et terriblement vide. Je continue à me vider de mon sang. Sous l’eau brûlante et ruisselante, des larmes silencieuses inondent mon visage. La bouche pleine d’eau, des hurlements chuchotés meurent dans ma gorge. C’est le plus beau jour de ma vie… Alors pourquoi, moi qui suis d’ordinaire si souriante, je suis si malheureuse… ?

En colère

Habillée, je retrouve mon fils et son père paisiblement endormis. Je n’ai pas dormi depuis 48h. La colère froide et sinueuse remplit ce ventre si vide.

Ma belle-famille vient voir mon fils, qui passe de bras en bras… « Oh, ça va, tu peux partager ! ». Un flash éclate devant ses si petits yeux, si fragiles. JE VEUX MON FILS. Mais ce n’est pas ma famille, alors je me tais, mon conjoint aussi.

Perdue

Le soir venu, nous sommes trois. J’ai somnolé. Papa dort, malgré les pleurs de mon fils. Ce sont des pleurs de décharge. Mais ça, je ne le sais pas. Je me sens seule, vide. Papa dort. Mon fils pleure. Je n’ai pas dormi depuis 72h.

Lorsque nous rentrons chez nous dans notre petit appartement, je suis perdue entre mes habitudes d’avant, et celles que je dois créer dans cette nouvelle vie. Je couche notre fils. Papa regarde la télé, et moi, je vais me coucher. Seule. Je ne veux pas quitter mon enfant, mais je suis aussi épuisée, terrifiée et complètement perdue.

En échec

Les jours se suivent et se ressemblent tous. L’allaitement ne fonctionne pas. Échec. La mère que j’avais imaginée être s’évapore chaque jour un peu plus. Échec. Ce nouvel appartement n’est pas si bien. Échec. 

Je dors, seule. Mon fils dans sa chambre, son père sur sa console. Les nuits sont hachées, s’étiolent peu à peu comme peau de chagrin.

Les journées, je regarde : mon fils sur son tapis de jeux, la vaisselle qui s’entasse, le téléphone plein de photos, vide de messages pour moi. Je vois : les appels de mes amies, que j’évite, ce canapé qui se creuse sous mon poids, car je ne le quitte plus.

J’essaye de me convaincre que je suis une super maman, en préparant des purées, en cousant des jouets, et en donnant des conseils sur Facebook que moi-même je n’arrive pas à appliquer. Dès que je ferme les yeux, mon cerveau pleure ces larmes que je tais, car je n’ai pas le droit d’être malheureuse. La télévision enchaîne les séries et les reportages. Le canapé se creuse un peu plus, la vaisselle s’entasse toujours plus. Les pleurs de mon fils résonnent dans les oreilles, les nuits sont hachées et étiolées. Le téléphone ne sonne plus. Les invitations, je les décline, car je n’en ai pas la force. Si tu savais comme je t’aime mon fils. Mais je ne sais plus comment faire ! 

Je suis si seule. Vide. Alors mon ventre se remplit de cette colère froide et sinueuse, tel un serpent qui me ronge de l’intérieur, distillant son venin sournoisement. Ce venin, j’ai mis quatre ans à l’ évacuer.

Ce serpent qui a ravagé mon sourire pour le noyer sous mes larmes a un nom : DÉPRESSION POST-PARTUM. Tel Rumpelstiltskin, une fois que tu connais son nom, tu peux le vaincre.

Après les tempêtes revient le soleil

Si je devais écrire à la “moi” d’il y a bientôt dix ans, alors je lui conterais ces maux :

« Chère moi,

Je sais à quel point que ce que tu vis est difficile, à quel point tu es terrifiée de cet avenir incertain, et de perdre un jour tes enfants. Oui, parce que tu en auras deux autres. Tu vois, dans la vie, la seule constante c’est le changement.

Mais ce que tu vis, nous sommes si nombreuses à le vivre ou à l’avoir vécu. N’aie pas peur de demander de l’aide. N’aie pas honte, la dépression est une maladie, et comme toutes les maladies, elle se soigne. 

Aie confiance !

Je t’aime,

Moi« . 

J’ai mis quatre années à remonter à bord du bateau et regagner la terre ferme pour quitter la tempête. J’ai eu un second enfant 13 mois après la naissance de mon aîné. J’ai traversé d’autres tempêtes que je te partagerai un jour.

C’est la main tendue d’une psychologue qui a proposé de m’aider pour mon fils dans un premier temps qui m’a fait accepter, et écouter, ses conseils. J’ai fini par consulter une psychologue pour moi, à trouver un nouveau travail, à trouver de la joie dans les choses simples. Oh, cela n’a pas été simple ! Même plutôt long. Déchirant parfois, coûteux. Entourée de mes proches, et puis finalement seule, lorsque j’en ai été capable, j’ai fini par retrouver de vrais sourires sincères. J’ai écrit beaucoup, dans des carnets qui n’avaient pas vocation à être lus, juste pour faire sortir le venin qui empoisonnait mon corps. J’ai suivi de l’art-thérapie.

Tout passe. Mais on ne peut pas toujours faire tout passer, toute seule.

À toi qui vis la même chose, qui s’est reconnue ou a reconnu une proche : accorde-toi de la douceur, et accepte de l’aide.

Aujourd’hui, j’ai trois merveilleux enfants. Je consulte toujours une psychologue, car trouver un peu d’écoute, un espace où déposer ses maux, c’est indispensable. Je suis capable de rire, d’aimer, de jouer et d’être compatissante envers la partie de moi qui a souffert.

Envie de temoigner

Je témoigne